Ce que j'aimerai te dire

Chaque nouveau jour déchaîne les vents du dehors
Entrant avec fracas dans nos corps et nos cœurs
Les nouvelles du monde sont blessures ouvertes
Hurlements d'acier crissement de terres sèches
Pleurs étouffés aux seuils de la nuit
Souffles de feux et bruits de fusils

Comment mon enfant te dire avec confiance
D'embrasser ce qui vient avec tes bras ouverts
D'apprendre à danser, de ravaler tes colères
D'irradier comme un soleil dans un ciel éteint

Ce que j'aimerais te dire c’est les mots qui me manquent
L'avenir qui se dérobe dans un monde désaxé
Les boussoles les navires qui ont perdu le nord
Nos folies collectives et nos aveuglements

Ce que j'aimerais te dire c'est murmure de poussière
C'est peau d'os traces de pas froissement de rivières
C'est la lumière à l'aube aux matins revenants
C'est le bruissement des feuilles le rire des enfants

Ce que j'aimerais te dire c'est que la vie est vaste
Vaste comme les océans folle comme l'eau des fleuves
Va ou ton cœur te parle où ta joie tourbillonne
Et comme les plantes sauvages tu pousseras partout

Il y a bien des façons de naître et de vivre
Avant d'être emportée par le flux de toute chose
Alors dans l'empan qui s'ouvre patiemment raciner
Il faut temps et patience à la fleur pour s’ouvrir
A sa beauté pour éclore, à ses graines pour voler
À propos de l'œuvre...
 "Ce que j'aimerai te dire", a aussitôt résonné en moi. C'était le début d'une phrase, d'un murmure au creux d'une oreille, c'était tout ce qui n'est pas dit, tout ce qui remue en nous et cherche une parole pour se faire entendre. La poésie naît souvent de mouvements intérieurs, souterrains, de joies trop immenses, de larmes qui n'ont pas trouvé leur chemin, et d'une envie de réparer un monde qui blesse, acéré comme le bord d'un silex trop coupant. Alors, quand j'ai reçu ces quelques mots pour démarrer la chaîne Créa, je les ai laissé se déposer en moi et j'ai écouté ce qu'ils me disaient. Et puis, j'ai entendu la suite, qui s'est déroulée comme une voix lointaine. J'en ai suivi le fil, et le poème est advenu. Après, on coupe, on relit, on cherche, pour que les mots sonnent justes, comme en musique. Ce qui m'est venu, c'est tout ce qui me traversait face à un monde qui semble parfois se déliter. Quelques mots de vent, quelques mots cabanes à partager.

Isabelle Soraru

Strasbourg (France)
« J'ai aimé écrire en sachant que les mots posés allaient, ensuite, faire leur mue, résonner et traverser d'autres corps, et devenir autre chose, se métamorphoser avec d'autres personnes. C'est beau de se sentir reliée à une chaîne invisible et multiple, et de savoir qu'elle ouvrira sans doute à des chemins nouveaux. C'était comme écrire une lettre à des ami.es que je ne connaissais pas encore, à qui j'ouvrais mon monde et à qui je murmurais des choses infiniment intérieures. »