A quoi bon ?
- Dis, t’as déjà fait un paresseux en origami ?
- Chuuuut. Tu vois pas que tu déranges ?
- Heu non. Enfin si. Pardon. Aarrg, non pa-pardon.
Jim se leva. C’était sa première vraie action depuis le début de la journée. Joe la regarda,
éberluée. Elle y allait fort. Et c’était ça qui était puissant chez elle, ça qui inspirait tant de
gens à sa suite. Ces militantes. Joe les avait baptisées les mini-errantes, et elles étaient de
plus en plus nombreuses.
Bref, Jim ne faisait rien, et elle le faisait bien. « Rien et bien c’est du pareil au même » avait-elle dit un jour.
Jim. Âge : quelconque. Taille : moyenne. Signe distinctif : néant.
C’était la figure de la révolution. Parfaitement banale.
Tout était parti d’une énième humiliation de son patron de l’époque, qui était en dépression
post-partum depuis. Donner naissance à une révolution non consentie, après un déni
gestationnel de 53 ans, c’était du lourd. Il s’appelait Booom
Booom. Âge : 53 ans ½. Taille : non renseigné. Signe distinctif : boomer. Gros boomer.
Booom, donc, qui lui avait sorti un jour « T’es vraiment bonne à rien ». Et il l’avait fait virer.
Bonne à rien. C’était la meilleure idée du monde. Jim allait s’atteler à ça. Et rien qu’à ça. A
Rien. A l’air, au vide, au rien. Et elle allait le faire bien. Et la révolution avait commencé.
Partout les gens s’essayaient à ne rien faire, à rêve-évolutionner comme elles disaient. Joe
résumait ainsi la situation « L’évolution, le prochain pas de l’évolution de l’espèce, c’est le
rêve ». Joe, elle avait flairé le gros buzz
Joe. Grande pour les petites et petite pour les grandes. Animal totem : abeille
Puis les roseaux sociaux avaient fait le reste. Chacun y allait de son petit rêve, de sa petite
grève. De son stop. De sa pause. De sa glande. De sa sieste. De sen repos. De son répit. De sa
grasse mat’. De son errance. Une annulation par-ci, un retard par là. Un report. Une
procrastination pour délai indéterminé. Inopinément. Tous ces mini-moins qui contribuaient
à détraquer un système qui ne demandait que cela. Et ce ralentissement se répandait vite,
incontrôlable. On fonçait dans le mur à grands coups de frein.
Les anciens hurlaient au scandale, la peur au ventre d’être arrêté. Que les rêvolutionnaires
fassent une descente de sève, les coupe dans leur élan, les somment de cesser ou les
assomment pour les stopper.
Le monde se divisait désormais en deux : le plein d’essence où régnait la peur du rien, et le
trop-plein de vide qui riaient de tout et de rien.
Et les oiseaux chantaient, enfin.