Stérile
Sous haute tension
Sous haute surveillance
Son entrejambe canalise toute l’attention
Des blouses blanches floues, enchevêtrées
Fusent et bourdonnent dans l’espace aseptisé
Inondé par la lumière criarde des néons
La lumière tellement froide
Qu’on ne dirait même plus de la lumière
Plutôt comme un regard en plus
Un regard qui s’ajoute
Un œil de trop
Oui, parce que des yeux, elle trouve qu’il y en a tellement !
Œil nervuré, œil agité de tics, œil-bleu-brun-vert-noir, œil chargé de cernes, œil perçant, œil inquisiteur, œil qui se glisse là où elle n’aimerait mieux pas, œil familier, œil étranger, œil du cyclone
Qui se fraie un chemin
Déchirant tout sur son passage
Entre ses jambes
Elle réprime… ou réprimande son malaise
Chacun sait que les blouses blanches sous ces yeux
Leur donnent le droit de pénétrer là
D’aller fouiller là
La blouse blanche leur donne un passe-droit
Leur portefeuille les y autorise
Leurs diplômes leur confèrent
L’expertise sur son intimité
Pourtant, elle n’en peut plus
Elle se sent soudain des envies de tempêtes
Katrina, Irène, Camille, Irma
Insuffisantes
Ou décevantes, histoire de reprendre
Le câlisse de mot qu’on lui a martelé
Toute sa fucking vie
Voici un bien meilleur cyclone :
Son souffle
Si tant est que c’est encore le sien
Parce que même ça, on tente de se l’approprier
D’en dicter la conduite
« Allez, mademoiselle, maintenant, on inspire. Plus longtemps, inspirez !
C’est pas comme ça qu’on respire, mademoiselle ! »
Son souffle qu’elle met toute sa puissance à dompter
Tiraillée entre les injonctions médicales
Et les supplications de son diaphragme
Sa gorge prise en étau entre l’air pressé d’entrer
Et les hurlements qui jaillissent de ses profondeurs
Véhiculant bien plus que de la douleur physique
Et à l’autre extrémité, tout en bas
Ses organes génitaux pris en tenaille
Par ce qui tente furieusement d’en sortir
Et tous ces regards déterminés à s’y engouffrer
Mais elle en a vu d’autres
Pour une énième fois dans sa jeune existence
Elle entre en mode survie
Perd la notion du temps, de l’espace
Et c’est à peine si elle entend le médecin en chef
Blouse blanche suprême
Perdre ses moyens, se décomposer
Jongler avec son expertise et la laisser tomber
Éclatée en mille morceaux sur le plancher
« Mais qu’est-ce qui se passe? Il… Il faut que je sorte, j’me sens pas bien ! »
Cette défaillance, elle ne s’en formalise pas
C’est même le cadet de ses soucis
Bon débarras !
Au fil des heures, sa respiration
Lassée de ses incessants va-et-vient
S’est lentement frayée un nouveau chemin
À travers son anatomie
Jusqu’à faire la jonction entre sa trachée
Et le col de son utérus.
Et la voilà à même
D’inspirer sans discontinuer
Libéré de toute obstruction
L’air s’insinue en elle, la traverse de bord en bord
D’abord petite brise… jolie brise… vent frais… grand vent frais… coup de vent
Blizzard
Tempête nourrie par des décennies d’oppression
De souvenirs repliés sur-eux-mêmes
D’agressions en tout genre :
Acculée dans un coin du corridor à l’école par une meute d’élèves lui claquant le visage en ricanant. Souffre-douleur attitré selon le décret émis par ses cinq grands frères. Chandelle éteinte et muette dans tous les repas de famille. Dénigrée et fat-shamée par le professeur d’éducation physique. Puis par son médecin quelques années plus tard. Élue la personne « la plus spéciale » dans l’album des finissants. Moins bien payée que tous ses collègues, tout ça pour avoir le privilège d’être l’objet préféré de toutes les blagues salaces de son patron et de ses multiples complimardes. Coincée dans le bureau de ce même patron pendant beaucoup trop longtemps. Puis dans son lit lors d’un party de bureau beaucoup trop arrosé. Poussée vers la grossesse bien malgré elle ce soir-là. Maintenue dans celle-ci par un entourage beaucoup trop conservateur.
La tempête culmine dans son entrejambe
L’ouragan hivernal de force mille qu’elle met au monde
N’épargne personne dans la salle d’accouchement
Tous sont violemment projetés contre les murs
Mais bien vite, il n’y a plus aucun mur
Ni même d’hôpital
Affalée sur une épaisse couche de verglas
Elle vivote, engourdie comme de la pierre
Fière d’elle tout de même
Mais juste un peu
Parce que c’est le désarroi qui prime
La vie n’a pas su germer en elle
La souffrance, les traumas, la honte
Ont fait de son être une terre infertile
Un pergélisol tout ce qu’il y a de plus aride
Pourtant, la tempête s’est calmée
La poussière retombe
Le printemps tient toujours sa promesse
Même après les hivers les plus rudes
Un tiède sourire se dessine
Sur ses lèvres desséchées
À défaut d’avoir su donner la vie
Peut-être qu’elle-même saura renaître maintenant